Le testament de Saint LouisEn ce jour de la fête du saint Roi, ce document dont il nous fut dit par saint Pie X de faire trésor :
A son cher fils Philippe, salut et amitié de père.
Cher fils, parce que je désire de tout mon cœur que tu sois bien
enseigné en toutes choses, j’ai pensé que je te ferais quelques
enseignements par cet écrit, car je t’ai entendu dire plusieurs fois que
tu retiendrais davantage de moi que de tout autre.
Cher fils, je t’enseigne premièrement que tu aimes Dieu de tout
ton cœur et de tout ton pouvoir, car sans cela personne ne peut rien
valoir.
Tu dois te garder de toutes choses que tu penseras devoir lui déplaire
et qui sont en ton pouvoir, et spécialement tu dois avoir cette volonté
que tu ne fasses un péché mortel pour nulle chose qui puisse arriver, et
qu’
avant de faire un péché mortel avec connaissance, que tu souffrirais que l’on te coupe les jambes et les bras et que l’on t’enlève la vie par le plus cruel martyre.
Si Notre Seigneur t’envoie persécution, maladie ou autre souffrance, tu dois la supporter débonnairement, et
tu dois l’en remercier et lui savoir bon gré car il faut comprendre qu’il l’a fait pour ton bien.
De plus, tu dois penser que tu as mérité ceci- et encore plus s’il le
voulait- parce que tu l’as peu aimé et peu servi, et parce que tu as
fait beaucoup de choses contre sa volonté.
Si Notre Seigneur t’envoie
prospérité, santé de corps ou autre chose, tu dois l’en remercier
humblement et puis prendre garde qu’à cause de cela il ne t’arrive pas
de malheur causé par orgueil ou par une autre faute, car
c’est un très grand péché de guerroyer Notre Seigneur de ses dons.
Cher fils, je te conseille de
prendre
l’habitude de te confesser souvent et d’élire toujours des confesseurs
qui soient non seulement pieux mais aussi suffisamment bien instruits,
afin que tu sois enseigné par eux des choses que tu dois éviter et des
choses que tu dois faire ; et sois toujours de telle disposition que
des confesseurs et des amis osent t’enseigner et te corriger avec hardiesse.
Cher fils, je t’enseigne que tu entendes volontiers le service de la sainte Eglise, et
quand tu seras à l’église garde-toi de perdre ton temps et de parler vaines paroles.
Dis tes oraisons avec recueillement ou par bouche ou de pensée, et
spécialement sois plus recueilli et plus attentif à l’oraison pendant
que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ sera présent à la messe et
puis aussi pendant un petit moment avant.
Cher fils, je t’enseigne que tu aies
le cœur compatissant envers les pauvres et envers tous ceux que tu considèreras comme souffrant ou de cœur ou de corps, et selon ton pouvoir soulage-les volontiers ou de soutien moral ou d’aumônes.
Si
tu as malaise de cœur, dis-le à ton confesseur ou à quelqu’un d’autre
que tu prends pour un homme loyal capable de garder bien ton secret,
parce qu’ainsi tu seras plus en paix, pourvu que ce soit, bien sûr, une
chose dont tu peux parler.
Cher fils,
recherche volontiers la compagnie des bonnes gens, soit des religieux, soit des laïcs, et évite la compagnie des mauvais.
Parle volontiers avec les bons, et écoute volontiers parler de Notre
Seigneur en sermons et en privé. Achète volontiers des indulgences.
Aime le bien en autrui et hais le mal.
Et ne souffre pas que l’on dise devant toi
paroles qui puissent attirer gens à péché. N’écoute pas volontiers médire d’autrui.
Ne
souffre d’aucune manière des paroles qui tournent contre Notre
Seigneur, Notre-Dame ou des saints sans que tu prennes vengeance,
et si le coupable est un clerc ou une grande personne que tu n’as pas
le droit de punir, rapporte la chose à celui qui peut le punir.
Prends
garde que tu sois si bon en toutes choses qu’il soit évident que tu
reconnaisses les générosités et les honneurs que Notre Seigneur t’a
faits de sorte que,
s’il plaisait à Notre Seigneur que tu aies
l’honneur de gouverner le royaume, que tu sois digne de recevoir
l’onction avec laquelle les rois de France sont sacrés.
Cher fils, s’il advient que tu deviennes roi, prends soin d’avoir les qualités qui appartiennent aux rois, c’est-à-dire
que tu sois si juste que, quoi qu’il arrive, tu ne t’écartes de la justice.
Et s’il advient qu’il y ait querelle entre un pauvre et un riche,
soutiens de préférence le pauvre contre le riche jusqu’à ce que tu
saches la vérité, et quand tu la connaîtras, fais justice.
Et s’il advient que tu aies querelle contre quelqu’un d’autre,
soutiens
la querelle de l’adversaire devant ton conseil, et ne donne pas
l’impression de trop aimer ta querelle jusqu’à ce que tu connaisses la
vérité, car les membres de ton conseil pourraient craindre de parler contre toi, ce que tu ne dois pas vouloir.
Si tu apprends que tu possèdes quelque chose à tort, soit de ton temps soit de celui de tes ancêtres,
rends-la tout de suite toute grande que soit la chose, en terres, deniers ou autre chose.
Si le problème est tellement épineux que tu n’en puisses savoir la
vérité, arrive à une telle solution en consultant ton conseil de
prud’hommes, que ton âme et celle de tes ancêtres soient en repos.
Et
si jamais tu entends dire que tes ancêtres aient fait restitution,
prends toujours soin à savoir s’il en reste encore quelque chose à
rendre, et si tu la trouves, rends-la immédiatement pour le salut de ton
âme et de celles de tes ancêtres.
Sois bien diligent de protéger dans tes domaines toutes sortes de gens,
surtout les gens de sainte Eglise ; défends qu’on ne leur fasse tort ni
violence en leurs personnes ou en leurs biens. Et je veux te rappeler
ici une parole que dit le roi Philippe, mon aïeul, comme quelqu’un de
son conseil m’a dit l’avoir entendue. Le roi était un jour avec son
conseil privé-comme l’était aussi celui qui m’a parlé de la chose- et
quelques membres de son conseil lui disaient que les clercs lui
faisaient grand tort et que l’on se demandait avec étonnement comment il
le supportait. Et il répondit : «
Je crois bien qu’ils me font
grand tort ; mais, quand je pense aux honneurs que Notre Seigneur me
fait, je préfère de beaucoup souffrir mon dommage, que faire chose par
laquelle il arrive esclandre entre moi et sainte Eglise. » Je
te rappelle ceci pour que tu ne sois pas trop dispos à croire autrui
contre les personnes de sainte Église. Tu dois donc les honorer et les
protéger afin qu’elles puissent faire le service de Notre Seigneur en
paix.
Ainsi je t’enseigne
que tu aimes principalement les religieux et que tu les secoures volontiers dans leurs besoins ; et ceux par qui tu crois que Notre Seigneur soit le plus honoré et servi, ceux-là aime plus que les autres.
Cher fils, je t’enseigne que tu aimes et honores ta mère, et
que tu retiennes volontiers et observes ses bons enseignements, et sois enclin à croire ses bons conseils.
Aime tes frères et veuille toujours leur bien et leur avancement, et leur
tiens lieu de père pour les enseigner à tous biens, mais prends garde que, par amour pour qui que ce soit, tu ne déclines de bien faire, ni ne fasses chose que tu ne doives.
Cher fils,
je t’enseigne que les bénéfices de saint Eglise que
tu auras à donner, que tu les donnes à bonnes personnes par grand
conseil de prud’hommes ; et il me semble qu’il vaut mieux les
donner à ceux qui n’ont aucunes prébendes qu’à ceux qui en ont déjà ;
car si tu les cherches bien, tu trouveras assez de ceux qui n’ont rien
et en qui le don sera bien employé.
Cher fils,
je t’enseigne que tu te défendes, autant que tu pourras, d’avoir guerre avec nul chrétien ; et si l’on te fait tort, essaie plusieurs voies pour savoir si tu ne
pourras trouver moyen de recouvrer ton droit avant de faire guerre, et
fasse attention que ce soit pour éviter les péchés qui se font en
guerre.
Et s’il advient que tu doives la faire, ou parce qu’un
de tes hommes manque en ta cour de s’emparer de ses droits, ou qu’il
fasse tort à quelque église ou à quelque pauvre personne ou à qui que ce
soit et ne veuille pas faire amende, ou pour n’importe quel autre cas
raisonnable pour lequel il te faut faire la guerre, commande diligemment
que les pauvres gens qui ne sont pas coupables de forfaiture soient
protégés et que dommage ne leur vienne ni par incendie ni par autre
chose ; car il te vaudrait mieux contraindre le malfaiteur en
prenant ses possessions, ses villes ou ses châteaux par force de siège.
Et garde que tu sois bien conseillé avant de déclarer la guerre, que la
cause en soit tout à fait raisonnable, que tu aies bien averti le
malfaiteur et que tu aies assez attendu, comme tu le devras.
Cher fils,
je
t’enseigne que les guerres et les luttes qui seront en ta terre ou
entre tes hommes, que tu te donnes la peine, autant que tu le pourras,
de les apaiser, car c’est une chose qui plaît beaucoup à Notre Seigneur. Et
Monsieur saint Martin nous en a donné un très grand exemple car, au moment où il savait par
Notre Seigneur qu’il devait mourir, il est allé faire la paix entre les
clercs de son archevêché, et il lui a semblé en le faisant qu’il mettait
bonne fin à sa vie.
Cher fils, prends garde diligemment qu’il y ait bons baillis et bons
prévôts en ta terre, et fais souvent prendre garde qu’ils fassent bien
justice et qu’ils ne fassent à autrui tort ni chose qu’ils ne doivent.
De même, ceux qui sont en ton hôtel, fais prendre garde qu’ils ne
fassent injustice à personne car,
combien que tu dois haïr le
mal qui existe en autrui, tu dois haïr davantage celui qui viendrait de
ceux qui auraient reçu leur pouvoir de toi, et tu dois garder et défendre davantage que cela n’advienne.
Cher fils, je t’enseigne que tu sois toujours dévoué à l’Eglise de Rome
et à notre saint-père le pape, et lui portes respect et honneur comme tu
le dois à ton père spirituel.
Cher fils, donne volontiers pouvoir aux gens de bonne volonté qui en
sachent bien user, et mets grande peine à ce que les péchés soient
supprimés en ta terre, c’est-à-dire les vilains serments et toute chose
qui se fait ou se dit contre Dieu ou Notre-Dame ou les saints :
péchés
de corps, jeux de dés, tavernes ou autres péchés. Fais abattre tout
ceci en ta terre sagement et en bonne manière. Fais chasser les
hérétiques et les autres mauvais gens de ta terre autant que tu le pourras en requérant comme il le faut le sage conseil des bonnes gens afin que ta terre en soit purgée.
Avance le bien par tout ton pouvoir ; mets grande peine à ce que tu
saches reconnaître les bontés que Notre Seigneur t’auras faites et que
tu l’en saches remercier.
Cher fils, je t’enseigne que tu aies une solide intention
que les deniers que tu dépenseras soient dépensés à bon usage et qu’ils soient levés justement. Et c’est un sens que je voudrais beaucoup que tu eusses, c’est-à-dire
que tu te gardasses de dépenses frivoles et de perceptions injustes et que tes deniers fussent justement levés et bien employés-et c’est ce
même sens que t’enseigne Notre Seigneur avec les autres sens qui te
sont profitables et convenables.
Cher fils, je te prie que, s’il plaît à Notre Seigneur que je trépasse
de cette vie avant toi, que tu me fasses aider par messes et par autres
oraisons et
que tu demandes prières pour mon âme auprès des ordres religieux du royaume de France, et que tu entendes dans tout ce que tu feras de bon, que Notre Seigneur m’y donne part.
Cher fils,
je te donne toute la bénédiction qu’un père peut et doit donner à son fils,
et je prie Notre Seigneur Dieu Jésus-Christ que, par sa grande
miséricorde et par les prières et par les mérites de sa bienheureuse
mère, la Vierge Marie, et des anges et des archanges, de tous les saints
et de toutes les saintes, il te garde et te défende que tu ne fasses
chose qui soit contre sa volonté, et qu’il te donne grâce de faire sa
volonté afin qu’il soit servi et honoré par toi ; et puisse-t-il
accorder à toi et à moi, par sa grande générosité, qu’après cette
mortelle vie nous puissions venir à lui pour la vie éternelle, là où
nous puissions le voir, aimer et louer sans fin, Amen.
A lui soit gloire, honneur et louange, qui est un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, sans commencement et sans fin . Amen.
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