Abbé Combalot
Conférences sur les grandeurs de la Sainte Vierge
Mois de Marie, église Saint-Sulpice, Paris, 1854
XVè CONFÉRENCE : SUR L'EDUCATION DES FILLES.
Fallax gratia, et varna est pulchristudo : mulier timens Dominum ipsa laudabitur.
Les grâces sont trompeuses, la beauté est vaine : la femme qui craint Dieu sera seule louée. (Pnov. xxxi, 30)
Ces
paroles divines renferment un
sens profond. Les grâces purement physiques et la beauté de la
femmesont souvent des dons funestes. Elles cachent presque toujours des
piéges, parce que, d'un côté, les enfants du siècle se laissent
aveugler par les attraits de la nature, et parce que, d'un autre côté,
ces
dons purement extérieurs, quand ils n'ont pas la piété, la crainte de
Dieu et la vertu pour fondement, recouvrent toujours un égoïsme profond
et une foule de misères morales pareilles aux épines cachées sous la
plus belle des fleurs, ou au poison mêlé à un breuvage enivrant.Les hommes charnels qui courent après la beauté, et la
femmequi ne brille que par l'éclat des grâces de la nature, n'aiment que ces
dons éphémères. De là ces fades louanges, ces adulations basses,
indignes de ceux qui les donnent, et si
funestes à celle qui les reçoit ; de là ce
servilisme rampant de l'homme qui mendie les regards et les préférences coupables de ces idoles de chair ; de là aussi
le despotisme, l'orgueil, les pensées mauvaises et souvent implacables de la femme, qui n'a d'autre mérite que la régularité et la fraîcheur des traits de son visage. Et voilà pourquoi
le Saint-Esprit nous assure que la beauté de la femme est vaine, et ses grâces personnelles menteuses.L'éducation
moderne, dans son action sur la jeune fille, n'a pas d'autre but que
cette perfectibilité physique et fallacieusement intellectuelle que les
mondains veulent trouver dans les femmes qui brillent dans les cercles, et qui vont faire assaut d'esprit dans les salons.
La bienheureuse Vierge, chef-d'œuvre de Dieu, a possédé tous les dons de la naturedans un degré si parfait que le divin saint Denys, après avoir
contemplé sur la terre les traits mortels de Marie, s'écriait qu'il
aurait pris la Mère du Fils de Dieu pour une divinité, si la foi ne lui
avait appris qu'elle n'était qu'une créature.
Mais ces dons
extérieurs, comparés aux richesses divines dont la grâce avait rempli
l'âme immaculée de Marie, n'étaient pas même une ombre de cette beauté
intime et toute céleste qui faisait dire au Roi-Prophète : «Toute la
beauté de la Fille du Roi est
au dedans :
Omnis gloria ejus Filiæ Regis ab intùs».
La grâcedonc, la grâce divine dont la sainte Vierge est la mère, la reine, le
mystérieux canal, doit présider seule au développement moral de la
jeune fille, comme la foi aux dogmes révélés doit seule présider à son
développement intellectuel.
L'éducation de l'âme de la jeune
fille, en un mot, doit être un reflet des vertus de la très pure
Vierge, et ce n'est qu'à ce prix que nous verrons disparaître
la plaie immense de l'éducation égoïste qu'elle reçoit aujourd'hui.En
essayant de déterminer dans un autre entretien par quelles vertus la
sainte Vierge s'était préparée à la maternité divine, nous avons vu
qu'elle s'en était rendue
digne par sa foi héroïque, par son humilité profonde, par sa pureté sans tache, par la ferveur de sa charité et de son oraison. Or, ces
vertus, d'origine
surnaturelle, que la bienheureuse Marie a pratiquées dans le degré le plus sublime, doivent être
aussi l'élément générateur de l'éducation morale de la jeune fille,
et c'est parce que ces vertus seules peuvent la préparer à sa mission
régénératrice sur le monde. Ces vertus, en effet, Mes Frères, résument
sa vie de vierge et d'épouse, de mère et de veuve, et seules enfin
elles peuvent la rendre semblable à la bienheureuse
Marie, modèle parfait, type glorieux de la femme chrétienne.
Le premier, le plus indispensable besoin de la jeune fille, dans l'ordre de son éducation morale, c'est
la foi que saint Augustin appelle si excellemment «
la santé de l'âme :
Sanitas animæ».
Le
siècle où nous vivons, et qu'elle doit traverser, est un siècle inondé
d'idées fausses, de systèmes d'erreurs, de préjugés antichrétiens. Une
foi vive, forte, pratique et inébranlablepeut seule préserver le cœur et l'esprit de la jeune fille du contact
inévitable de ces erreurs et de ces systèmes. Faible, immensément
faible par nature, elle sera
invincible par la foi ; «car la foi, dit l'évangéliste saint Jean, nous fait vaincre le monde :
Hæc est victoria quæ vincit mundum, fides nostra. (I Jean, v, 4.)».
La foi, et une foi éclairée, donnera toujours à une femme
une élévation de pensées, une rectitude de jugement, une force de
caractère, une énergie morale, qui la mettront à l'abri des écueils
contre lesquels tant de femmes, qui se croyaient fortes, ont vu se
briser l'édifice de leur fragile vertu.
Quand la
jeune fille se sera nourrie, avec une sainte abondance, du lait et du
pain de la vérité, ne craignez pas qu'elle laisse monter les noires
vapeurs du
doute et du
mensonge dans la région sereine et sous le ciel sans nuages qu'elle habite avec le Dieu de son cœur.
C'est
par la foi qu'une éducation vraiment réparatrice déracinera du cœur de
la jeune fille ces maximes païennes trop répandues de nos jours sur le
bonheur des richesses, sur les privilèges de la naissance, sur les
droits exagérés des distinctions de rang et de position sociale.
Eclairée
au flambeau de la foi, elle préférera toujours son titre d'enfant de
Dieu à toutes les vanités de la naissance et à tout cet orgueil
idolâtre des enfants du siècle.
La foi apprendra à vos filles à goûter les maximes évangéliques sur la
béatitude des larmes et de la pauvreté, du renoncement et de la souffrance.Par la foi, et par une foi exercée, elles sauront pénétrer dans les
réalités invisibles du monde de la grâce ; elles comprendront, à la
lumière des paroles de Jésus-Christ, la dignité du pauvre dans l'Eglise
et la sainte égalité de tous les enfants de la régénération devant la
loi divine et devant les espérances de la vie éternelle.
L'humilité,
fondement des grandeurs et des hautes destinées de la très sainte
Vierge, doit être aussi la base de l'éducation des filles. La foi leur
donne la lumière de la vérité, et l'humilité enrichit leur âme des plus
solides vertus.La mission de la femme chrétienne, depuis l'accomplissement du dogme de la maternité divine, est une mission de salut et de vie pour la société. Par son affranchissement surnaturel, à l'ombre du culte glorificateur de Marie, la
femmerégénérée a mis dans la balance des destinées reconquises de la race
humaine le poids de ses vertus, et la civilisation européenne s'est
faite sous l'empire des bénédictions et des espérances dont elle est
devenue le foyer.
Mais remarquez que toute la mission civilisatrice de la
femme est, pour ainsi dire,
renfermée
dans le cercle de la famille. C'est du fond du sanctuaire domestique
qu'elle répand sur le monde ces germes de vie qui purifient, et ces
bienfaits qui sauvent.Les femmes sont les racines de l'arbre social ; elles sont le fondement de l'édifice des siècles de la grâce.Mais les racines puisent aux entrailles de la terre la sève et la vie
qu'elles communiquent à la tige et aux branches ; mais les fondements
d'un édifice doivent être cachés dans les profondeurs du sol sur lequel
l'édifice s'élève.
La vie d'une femme,
d'une épouse, d'une mère, d'une veuve vraiment chrétienne se compose de
devoirs obscurs et presque inaperçus, et l'avenir, tout l'avenir des
races humaines, dépend de ces devoirs.La vie sociale de la femme catholique doit être une vie de retraite, de silence, de travail, de renoncement et de patience.Sa royauté véritable est celle de la modestie, des sollicitudes de la famille et de la vertu.Or, pour se condamner à une vie ignorée et laborieuse, pour s'immoler à
chaque heure aux volontés d'un mari dont le caractère n'a pas toujours
reçu cette souplesse malléable que la grâce de Jésus-Christ seul
pouvait lui donner, il faut être
prodigieusement dépouillée de soi-même. Point donc de vertu solide dans le cœur d'une femme sans une abnégation profonde de soi ; mais point d'abnégation sans humilité.La
femme vraiment humble se plaît
dans le silence; elle aime
la solitude de sa maison ; elle trouve de grandes douceurs dans sa retraite. La
femmeorgueilleuse a horreur du silence et de la vie cachée ; il lui faut une
colonne, un théâtre, du haut desquels elle puisse se faire voir et
mendier des applaudissements.
Nous avons dit que l'auguste Marie
s'est élevée à la hauteur de sa destinée par une pureté si grande, que
Dieu seul en connaît le prix, et que le Saint-Esprit la compare à
l'éclatante blancheur du lis qui grandit au milieu des épines.
L'âme
virginale de Marie est devenue le sanctuaire que Dieu Lui-même S'est
choisi, pour y consommer l'œuvre des anéantissements du Verbe et celle
des gloires de l'humanité.
Or, Mes Chers Frères, l'éducation de
la jeune fille doit la faire vivre de la vie de l'âme, de la vie des
Anges et de la vie de Dieu. Elle
doit avoir pour
conséquence et pour
fruit l'anéantissement de l'idolâtrie d'elle-même ; elle
doit tendre à subjuguer pleinement en elle
l'amour
égoïste de sa frêle beauté, la passion désordonnée des louanges, les
folies de la vanité et du luxe, et jusqu'à l'ombre du sensualisme et de
la mollesse.Si l'éducation que vous donnez à
vos filles ne pénètre leur âme de cette énergie de la foi, de cette
sève divine de la grâce, seules capables d'éteindre le sensualisme de
l'âme et des sens, vous n'en ferez que des idoles de chair pour les
criminelles adorations des enfants de ce siècle.